Partager la publication "Propagande et réseaux sociaux : arme de désinformation massive"
Lassé de la partialité des médias traditionnels, vous espérez trouver un fond d’honnêteté intellectuelle et de la vraie information, non filtrée, brute de décoffrage, en direct du terrain sur les réseaux sociaux ? Il va falloir revoir votre jugement. La propagande s’étale aussi désormais sur les réseaux sociaux, à une vitesse effroyable : nouvelle technologie et vieilles ficelles de la communication de guerre.
« Le plus grand changement de ces dernières années réside dans le fait que le journalisme, n’est plus l’exclusivité des journalistes ». The Economist, 7 juillet, 2011. L’auteur de ce papier dramatiquement intitulé « La fin des médias de masse » n’a sans doute pas tort. Et les faits sont là pour le démontrer. Ainsi, bon nombre d’informations apparaissent d’abord sur les réseaux sociaux avant que Reuters, l’AFP ou Associated Press n’aient eu le temps de finir leur expresso en salle de pause pour foncer sur leurs claviers d’ordinateurs. Quelques exemples : le fameux « 4 more years », de Barrack Obama, annonçant sa réélection pour nouveau mandat sur Twitter, ou plus surprenant, l’attaque sur la villa de Ben Laden, apparue tout d’abord sur les réseaux sociaux via un utilisateur s’étonnant de l’heure tardive d’une intervention héliportée dans son patelin. Tout cela, vous avez pu le vivre, quasi en direct et aux premières loges, pour peu que vous soyez un brin connecté sur les réseaux sociaux.
Une presse à mauvaise réputation
A l’engouement pour les réseaux sociaux s’ajoute chez nous une certaine défiance à l’encontre des médias. Il suffit, sur les réseaux sociaux encore une fois, de sentir la haine du « journaleux », du « fouille-merde » à la solde du pouvoir (forcément), qui travaille dans un « Merdia » si on peut évidemment appeler cela un travail. Un cliché éculé, certes, mais auquel le journaliste fait face quotidiennement sur les réseaux sociaux. Et quand vous avez le malheur de rappeler sur les réseaux sociaux qu’à la mi-2014 déjà 44 journalistes se sont fait trouer la paillasse pour que l’on soit informé, on n’hésite plus à vous répondre que c’est bien fait, il ne fallait pas y aller. On en est là, aujourd’hui. Alors quitte à ne plus du tout lire les journaux, autant se contenter de l’information brute, en direct du terrain, livrée par d’honnêtes citoyens sur tous les fronts, collectant eux-aussi, au péril de leur vie, et sans carte de presse pare-balle, la VRAIE information pas encore manipulée par une organisation totalitaire quelconque… Mais est-elle seulement vraie cette information ?
Propagande et réseaux sociaux : Génération Born to lol
En effet, si l’information se déroule en premier lieu sur les réseaux sociaux, la désinformation aussi. Sur les réseaux sociaux, tout le monde se fout de la véracité du propos. Personne ne vérifie rien et plus le post est faux, et plus le faux est grossier, et plus il aura de succès. Et quand on évoque le drame de Gaza, la désinformation atteint des sommets éthérés, des deux côtés du conflit d’ailleurs. Illustration par l’exemple : j’ai interpellé le 31 juillet un utilisateur suite à ce tweet :
Le fait est que j’ai trouvé mon interlocuteur très bien informé. Réussir à prendre une photo d’un stock d’armes livré par les Etats-Unis, chapeau. Un bel exemple de journalisme social. Sauf qu’en fait, il n’en est rien. L’image en question a tout simplement été prise sur Flickr :
C’est une vieille image, prise en 2009 et qui sert souvent à illustrer les articles liés à l’affaire du Francop, ce navire marchand allemand suspecté de transporter des armes à destination du Hezbollah. Ironie du sort, la photo illustrant ce tweet a été apparemment prise par les forces israéliennes. Quand je lui ai fait remarquer, il m’a dit : « L’authentification n’augmentera pas l’impact du tweet », la réponse de mon interlocuteur est sans appel. Sur les réseaux sociaux (dont je suis, avouons-le, un fervent consommateur à la limite de l’addiction), la course au like et au retweet ne s’embarrasse pas d’exactitude. L’exactitude, c’est comme la vie privée, c’est dépassé.
Sur les réseaux sociaux, depuis que la guerre fait rage à Gaza, les deux camps se déchaînent avec une méthode, peu ou prou identique : sortir une image, ou une vidéo, de son contexte et s’en servir comme preuve d’une atrocité, une de plus, dans un conflit qui n’en manque pourtant pas. Et sur les réseaux sociaux, autant le dire franchement, tout le monde se fiche complètement de l’origine et de la véracité de l’information, pourvu qu’elle se propage. Certes, le péché d’inexactitude ci-dessus n’est franchement pas bien grave, attendu qu’il est avéré que les Etats-Unis ont bien mis à disposition d’Israël un stock de pétoires laissées sur place pour une raison non expliquée par les autorités, d’ailleurs. Pour l’image suivante, en revanche, c’est déjà plus dérangeant.
Les forces israéliennes utilisent des obus au phosphore sur Gaza ! La photo ne trompe pas. Pour ceux qui ne sont pas encore très pointus quant aux inventions les plus débectantes de l’humanité pour s’auto-éradiquer, le phosphore blanc est une belle saloperie, qui mérite de figurer dans le top 3 des monstruosités balistiques, et qui en brûlant, transperce à peu près n’importe quoi et brûle les victimes jusqu’à l’os. Mais en l’occurrence le tweet en question est une manipulation. L’image nous provient cette fois de Reuters, qui l’a prise en 2009 à Gaza. On en retrouve la trace dans un article de L’express « Les buts de guerre d’Israël à Gaza », du 5 janvier 2009.
Là encore, c’est une image retweetée plusieurs centaines de fois, même s’il est difficile d’avoir un compte exact, beaucoup de gens la reprenant à leur compte sans en mentionner la source.
Photoshop de combat
Pour retrouver ces images, il n’y a rien de plus simple. Il suffit de lancer une recherche Google inversée et le gentil moteur de recherche vous retrouve toutes les occurrences précédentes de l’image ou parfois d’une image approchante, bien pratique pour mettre en exergue un montage particulièrement osé. Ainsi, courant du mois de juillet, on a pu voir apparaître en une du « Times Of Israël » l’information suivante : « La municipalité de Tel-Aviv installe un écran géant sur la plage pour suivre l’offensive sur Gaza ».
C’est proprement scandaleux et ce brave utilisateur de Facebook de dénoncer le macabre sens festif de la municipalité de Tel-Aviv. Evidemment, c’est un faux grossier, le Times of Israël a dû démentir et devra sans doute encore démentir longtemps d’avoir jamais osé une news pareille. Le fait est que j’ai retrouvé cette image en cherchant les images correspondant à « world cup beach screen tel aviv ». C’est en fait une image d’un photographe d’Associated Press illustrant la coupe du monde de foot.
Maintenant, pourquoi se contenter de la photo ? Ça fait très début XXème siècle alors qu’une vidéo… Ainsi, côté pro-israélien cette fois-ci apparemment, ou au moins de côté anti-hamas, on n’hésite pas. Oui, le Hamas utilise des petites filles pour tirer au AK47 et la preuve, la voici en vidéo :
Seul petit problème, cette vidéo a un an et c’est une preuve que le Hezbollah libanais utilise des petites filles pour tirer au AK47 :
Heu, non, à moins que ce ne soit une preuve que les syriens entraînent une gamine à tirer au AK47, qui sait… :
Bref, la seule chose dont on est sûr, c’est qu’une petite fille a bien tiré au AK47… Pour le reste, sur les médias sociaux, ça prouve un peu ce qui vous arrange sur le moment.
Autre exemple de manipulation anti-gaza, la vidéo suivante montre des enfants de Gaza utilisés comme boucliers humains lors d’un tir de roquette.
Monstrueux évidemment. Seulement voilà, la vidéo en question n’est pas du tout tournée à Gaza, du moins si l’on en croit cette vidéo originale, postée six mois plus tôt sur Youtube et qui mentionne, cette fois, la Syrie.
Les images de la 1ere vidéo sont visibles à 18s dans la seconde. La vidéo n’a donc rien à voir avec le conflit en cours. Toujours la même méthode donc : détourner une image de son contexte pour faire avancer son camp.
Les tweets à effets spéciaux
Ceux qui ont l’habitude des réseaux sociaux voient passer tous les jours, pour ne pas dire toutes les heures, les images atroces des enfants de Gaza mutilés, carbonisés, défigurés et orphelins. Il est incontestable que la triste balance du nombre des victimes penche fatalement du côté des gazaouis. Mais il y a pire à en croire les réseaux sociaux : les victimes israéliennes n’en seraient pas.
Israël, dans sa prétendue fourberie, fabriquerait de toutes pièces des victimes de guerres à grand coup de maquillage, tel un vulgaire cosplayer à une convention Call of Duty lambda. En fait, ce n’est pas loin de la vérité. Ces images sont tirées d’un étrange magazine dédié au maquillage professionnel Warpaint et d’un bloggeur ayant assisté à une convention sur les effets spéciaux du cinéma en 2010.
Encore une fois, on a retrouvé ces images en quantités industrielles, sur Facebook et twitter notamment, sans que personne ne s’interroge sur les sources, les utilisateurs se contentant de répandre la rumeur comme une information.
Une machine bien rôdée
Difficile d’avoir une interview d’un Community Manager du Hamas. En revanche, on a contacté le responsable communication de l’IDF (Israël Defence Forces)… qui nous a répondu :
« Bonjour Benoit,
Ce ne sera pas possible tant que l’opération Bordure Protectrice est en cours.
Bien cordialement »
Autrement dit, on voudra bien me répondre quand on n’aura plus besoin de twitter sur l’actualité. Car le fait est que si Tsahal rechigne à répondre aux interviews, il veut bien, en revanche, twitter via son compte @IDFSpokesperson, un compte qui rencontre un succès certain puisqu’avec 382 000 followers environ, il est moins populaire que l’Elysée (392 000) mais quand même plus qu’Alizée (335 000), ouf. Du reste au-delà des informations sur les frappes du Hamas et le terrible décompte des roquettes interceptées au quotidien, l’IDF déroule sur les réseaux sociaux une communication de guerre qu’on n’aurait pas reniée au XIXème. Exemple, l’image effrayante mais néanmoins traditionnelle de jeunes recrues qui s’en font faire la guerre tout sourire, la fleur au fusil.
Ou encore l’étrange enquête rondement menée des trois mobylettes décharnées, retrouvées dans un tunnel permettant de conclure avec assurance à un plan d’enlèvement imminent mais fort heureusement déjoué.
Enfin, toujours dans la tradition de la communication de guerre à l’ancienne, le 21 juillet dernier l’IDF nous posait la question : « que feriez-vous si c’était chez vous ? » Rien que du très classique donc, encore qu’un effort d’imagination est exigé de ceux qui n’habitent pas à Londres.
Du simple point de vue comptable, la propagande de l’IDF semble plus efficace que celle des pro- Hamas à en juger tout simplement par le nombre de relais sur les réseaux sociaux. La propagande est beaucoup plus diffuse du côté des pro-Gaza. Néanmoins, il suffit de traîner un peu sur les réseaux sociaux pour se rendre compte que la puissance d’amplification pro-Gaza est impressionnante, du simple fait d’une organisation beaucoup plus plate, justement. Quand une information tombe, elle est relayée immédiatement de sources multiples, ce qui, en définitive, témoigne d’une meilleure compréhension des mécanismes qui régissent les réseaux sociaux. En même temps, il ne saurait en être autrement pour le Hamas, puisque le 14 janvier dernier, twitter a tout simplement coupé le sifflet du compte officiel et plus récemment du compte d’Al Qassam, branche armée du Hamas, obligeant l’organisation à se replier vers une communication plus diffuse, moins hiérarchique mais peut-être finalement plus efficace.
La propagande Made In France
Si vous pensez que seuls les conflits armés sont concernés par la propagande sur les réseaux sociaux, vous avez tort. C’est même devenu un sport national, surtout quand il s’agit de propager des idées nauséabondes, racistes, antisémites ou islamophobes. Pour faire peur, rien de tel que les réseaux sociaux. Quelques exemples, bien de chez nous. Nous avons retrouvé ce pseudo courrier officiel sur papier à entête de la mairie de Talence sur twitter, mais il a aussi pas mal circulé sur Facebook. Que Peut-on y lire ? On y voit en résumé que la mairie demande à ses administrés de ne pas cuisiner de porc pendant le ramadan, de ne pas boire ou manger dans l’espace public et exige que les femmes sortent avec une tenue décentes pendant le jeûne.
C’est un faux. Alain Cazabonne, maire de Talence, doit se battre contre cette rumeur infondée… depuis 2011 comme en témoigne la page de la mairie. Et un travail de fourmi. En effet, à chaque Ramadan, les utilisateurs islamophobes ressortent la fausse lettre du chapeau, avec des variantes. Sur celle du dessous pas exemple, un logo réapparait au bas de la page :
Comme dans toute opération de propagande rondement menée, il est bien délicat de retrouver qui a commis le faux et à notre connaissance, l’enquête de police (le maire ayant porté plainte) n’a pas encore abouti. Si vous voulez en savoir plus sur ce genre de manipulation documentaire bien haineuse et bien de chez nous, vous pouvez aller faire un tour sur debunkersdehoax.org qui s’est aussi intéressé à l’affaire ou encore Le Démonte Rumeur de Rue89.
Autre exemple, le 3 août dernier, une image apparait sur les réseaux sociaux : il s’agirait d’une photo prise à la piscine du lac de Créteil, affichée ici pour véhiculer une idée raciste.
Comme le montre une recherche inversée sur Google, c’est une image tirée de leral.net, un magazine sénégalais illustrant un article de 2013.
C’est d’ailleurs le journaliste Samuel Laurent, responsable de Décodeur pour Lemonde, qui a le premier dénoncé via son compte twitter la manipulation. On vous invite d’ailleurs à voir ce qui se passe sur Décodeur ici, où l’on trouve beaucoup de vérifications factuelles de premier ordre.
Pourquoi réfléchir ?
Des messages comme ceux que vous avez pu voir ici, il en passe tous les jours, par wagons entiers, sur les réseaux sociaux. Au final, cette expérience désagréable montre que le recours aux réseaux sociaux n’est certainement pas la panacée pour obtenir une information claire, tangible et vérifiée.
Du bac à sable, les réseaux sociaux virent facilement au bourbier le plus infâme dès que le sujet devient un tant soit peu sérieux. Comme toute source d’information, le réseau social requiert de l’utilisateur une once d’esprit critique afin d’en tirer une information pertinente. En définitive, la différence entre la presse et le réseau social, outre la forte proportion de chats et de licorne arc-en-ciel dans le second par rapport au premier, tient au fait que le réseau social ne vise pas à informer mais à convaincre. Ceux qui ont de facto un parti pris sur un sujet trouveront leur intime conviction renforcée par la masse d’information, avérée, bidouillée ou même complètement fausse. Sans outil adéquat il est très difficile de qualifier une information apparue sur les réseaux sociaux. Cela demande un travail énorme de mise en perspective, et d’esprit critique de la part de l’utilisateur, qui n’est peut-être pas dans le bon état d’esprit quand il consulte sa page Facebook dans le métro entre deux rendez-vous et relaie, sans état d’âme, une horreur de plus. Et il y a du boulot pour trier le vrai du faux. Dernier exemple en date, l’excellent exercice de décorticage réalisé par HoaxBuster sur le tweet de Dieudonné (qui cumule à l’heure où nous écrivons près de 530 RT) et que l’on se passera de commenter ici.