« ooga chaka, ooga ooga » : Le comeback de la cassette audio ?

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Ivre, Disney/Marvel a sorti en 2014 la désormais célèbre mixtape Gardians of the Galaxy – et son non moins fameux « Hooked on a feeling » au format cassette audio. Il s’en vendra 11.500 copies en trois jours ! Après le vinyle et la photo instantanée, les hipsters barbus s’apprêtent-ils à faire renaître la cassette audio de ses cendres ? Pourquoi ? C’est que dans ces milieux-là, on n’est plus à un anachronisme près…

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1989. Bousculé de gauche à droite au moindre soubresaut l’autocar sur une route défoncée, j’occupe le siège le plus inconfortable et néanmoins le plus cool, donc le plus prisé, de toute l’histoire de l’automobile scolaire depuis l’invention des transports en commun : le milieu de la banquette tout au fond du bus. Casque vissé sur les oreilles, je pousse la molette de volume de mon baladeur à cassette Aiwa HS-G35 – Mark II, Autoreverse ! – qui m’envoie une bonne giclée de The Cure dans les esgourdes, peinant malgré tout à couvrir le bruit du terrifiant moteur 6 cylindres diesel turbocompressé qui rugit, là, quelque part sous la banquette, dans les profondeurs de la machine. J’ai 11 ans. Cette cassette, bien sûr, je ne l’ai pas achetée – quelle question ?!? Je l’ai faite moi-même, la veille, à l’aide d’un monstrueux blaster Hitachi TRK-3D8 double cassette ridiculement surdimensionné et dont les grilles affichent sans guère plus de sérieux un étrange mais néanmoins convaincant monogramme «3D Super Woofer». Tout un programme… La méthode était connue de tous les gosses de l’époque : une cassette enregistrait en continue la radio, et une fois le morceau passé, il était dupliqué, proprement, sur la seconde cassette, afin d’insérer des blancs et d’être sûr d’avoir le morceau en entier. C’est cette dernière que l’on utilisait en vadrouille. Le début et la fin des morceaux étaient entachés de Jingles et des commentaires des Disc-Jockey et il y avait, immanquablement un morceau brutalement tronqué, quand on arrivait au bout de la bande de 30 minutes par face. Les écouteurs n’avaient pas grand-chose à voir avec ce que l’on connait aujourd’hui, deux pauvres pastilles de mousse reliée par un fin arceau en alu branlant. Une fois au bout, il fallait rembobiner la cassette ou la retourner. Toute une époque…

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La cassette : de la génération copie privée à celle privée de copie

Mais tout cela n’avait pas vraiment d’importance. Le baladeur. La musique, SA musique. Voilà ce qui comptait. En ce temps-là, l’industrie était beaucoup moins regardante sur la copie privée, à une époque où les protections sur les médias du commerce n’existaient quasiment pas. Tout le monde s’en fichait. L’industrie vendait des disques et quand on avait un peu de sous, on en achetait, sinon… et bien sinon on le copiait, on s’installait dans le fond du bus et on montait le volume !

La cassette : une question de bulle

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On ne perçoit souvent le baladeur qu’à travers une dimension strictement nomade et rien n’est moins faux. Ce que le baladeur a apporté à notre génération, et ce que les jeunes d’aujourd’hui considèrent comme un acquis, c’est la bulle, cet espace de vie strictement privée où l’on n’a de compte à rendre à personne, où le fils de bonne famille bourgeoise peut écouter les Berruriers Noirs à fond de curseur, où la fille d’un couple d’anarchistes peut assouvir sa passion coupable pour Charles Aznavour sans subir de remontrance, une bulle enfin où l’on peut se réfugier quand les engueulades parentales montent jusque dans les étages, et quand on n’a pas envie de choisir ce soir, entre partir avec papa et sa nouvelle femme, ou maman et sa dépression, alors on met le casque, on pousse le volume et on s’envoie Lullaby jusqu’à ce que les piles AA rendent l’âme. Et cette bulle, et ce qu’elle représente, on la perçoit jusque dans la bouleversante scène d’introduction d’un film pourtant aussi trivial que Guardian of The Galaxy, quand le gamin à l’hosto part se réfugier dans la musique pour éviter d’affronter le présent. Pour la petite histoire, le walkman est une idée géniale du réalisateur qui cherchait à imposer une bande son décalée pour son space-opera et c’est vrai que c’est assez brillant. Pas étonnant du coup que la cassette soit en ce moment même au cœur d’un regain d’intérêt, au milieu d’une vague néo-rétro qui a déjà ressuscité le Vinyle, les chemises à carreaux de bûcheron et la barbe fleurie.

La cassette : une résurrection d’usage avant tout

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Si la cassette connaît un regain d’intérêt de nos jours, contrairement au vinyle, ce n’est pas tant pour des questions techniques, du moins, dans le format compact que l’on connait. Selon les dires des constructeurs de cassettes, au mieux, on peut espérer un spectre audio de 20 à 20kHz d’une bonne bande audio Chrome. Et on ne peut même plus les fabriquer pour des raisons écologiques (voir notre interview plus loin). Si la vague néo-rétro s’intéresse à la cassette, c’est donc avant tout par nostalgie d’un usage et d’une certaine époque où, justement, la copie ne méritait pas un coup de Taser et des années de prisons, où l’on n’était pas présumé délinquant. Disney ne s’y est pas trompé et a proposé outre atlantique la fameuse Mix-Tape de Guardians of the Galaxy (si vous n’avez pas vu le film, on ne va pas tout vous raconter non-plus) au format cassette audio. Il en a écoulé près de 11.500 copies. La production a été confiée à une société américaine du Missouri, spécialisée dans la fabrication de cassette audio Made in USA depuis 1969. Vintage, jusqu’au bout.

Rencontre avec la National Audio Company

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Nous avons rencontré Steve Stepp, directeur de cette National Audio Company, une société active dans la production de cassettes audio, et il nous explique, pourquoi, selon lui, la cassette audio existe et continuera d’exister au-delà de la vague vintage. Au travers de cet entretien, c’est aussi 40 ans d’évolution de l’industrie musicale qui défilent devant nos yeux.

Ere-numérique : Steve, vous êtes directeur de la National Audio Company, la société responsable de la production de la fameuse Mix Tape Guardians of the Galaxy. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre société ?

Steve Stepp : La National Audio Company s’inscrit dans la très longue histoire de l’industrie du disque, et de la production de support audio en général aux États-Unis. Tout a commencé en 1969. C’était, et c’est toujours, une entreprise familiale. On a commencé en vendant des cassettes vierges – sous la marque Ampex – surtout dans les milieux professionnels comme les radios et les studios d’enregistrement. La société a connu une croissance solide pendant toutes les années 70. Et au début des années 80, on en était à un point où l’on ne pouvait plus produire assez de cassettes et on a commencé à en importer de l’étranger.

Ere-numérique : Qu’est-ce qui a changé dans les années 90 pour vous ?

Steve Stepp : A cette époque, le marché de la cassette audio pro a commencé à décliner. En effet, la plupart des studios ont fait évoluer son équipement vers d’autres supports magnétiques « Solid State ». Mais notre société a pourtant continué à croitre. Nous avons ainsi investi à l’époque dans une nouvelle usine, tout simplement parce que nous sommes passé de la commercialisation de cassette vierge à la duplication de contenu. Nous avons commencé ainsi dans le marché de l’éduction, des musées, mais aussi des services religieux qui faisaient grand usage de cassettes audio. On a continué bien sûr à vendre des cassettes vierges et dans les années 90, on a même racheté la division cassette audio de 3M !

Ere-numérique : et les années 2000 ?

Steve Stepp : A la fin des années 90, l’industrie musicale est définitivement passée au CD, mais la parole n’a jamais quitté la cassette et bon nombre de nos clients sont toujours les services éducatifs et religieux. En outre, les studios d’enregistrements indépendants sont retournés vers la cassette – qui reste plus pratique et plus naturelle que le CD, si tant est que l’on prenne quelques précautions … et donc nos affaires ont continué à croitre ! Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la production de cassette audio ne s’est jamais arrêtée. Et d’ailleurs, le basculement vers le CD a été pour nous une opportunité car on a pu acheter des équipements d’enregistrement de cassettes d’excellente qualité pour une bouchée de pain !

Ere-numérique : et où en est la cassette aujourd’hui ?

Steve Stepp : il y a cinq ans, on a commencé à sentir ce que l’on appelle la « rétro-révolution ». De façon assez surprenante, ceux qui s’intéressent aujourd’hui à la cassette sont les moins de 35 ans. Ils n’ont pas bien connu l’âge d’or de ce support. Malgré tout, comme ce fut le cas pour les 33 tours, l’idée d’acheter un support, un objet à soi, plutôt que juste de la musique dématérialisée, reste un atout certain. L’année dernière, on a vu une croissance significative de sortie d’albums sur cassette. Tous les ans, le 24 septembre, il y a la journée internationale de la cassette (NDLR : si, si, ça existe). Et en 2014, il y avait 84% d’albums en plus disponibles en cassette par rapport à l’année d’avant ! En décembre, pas moins de 260 albums sont sorti au format cassette, c’est énorme.

Ere-numérique : et comment la cassette va évoluer ?

Steve Stepp : aujourd’hui on a beaucoup de demande, de la part des audiophiles qui connaissent les limitations des cassettes audio, pour des bandes au format ¼ de pouces. Avec ces grosses bandes magnétiques, la qualité audio est en effet supérieure au numérique compressé.

Ere-numérique : y-a-t’ il encore des évolutions technologiques dans le domaine de la cassette audio ?

Steve Stepp : Oui et non. Le meilleur équipement de duplication n’existe plus en neuf et doit donc être savamment restauré. On a de la chance d’avoir chez nous des ingénieurs et techniciens qui connaissent ces machines par cœurs, comme par exemple les fameuses têtes d’enregistrement Saki, à la réponse en fréquence exceptionnelle. Mais du côté de la cassette, il y a aussi des évolutions. On a encore un beau stock de cassettes Chromes, mais elles ne peuvent plus être produites de nos jours pour des raisons écologiques. Du coup, on travaille sur une évolution des cassettes ferriques, avec un oxyde plus épais pour une meilleure réponse en fréquence. On espère atteindre ainsi les qualités d’une cassette chrome !

Ere-numérique : Et le Made in USA, c’est un facteur important pour vous ?

Steve Stepp : Assurément, ça joue. Tout n’est pas fabriqué aux USA, mais une grosse partie est assemblée ici et la duplication est complètement sous notre contrôle. C’est important pour des questions de qualité, mais aussi d’engagement personnel. Avec d’autres sociétés, on n’a pas toujours la sensation d’une volonté de produire des cassettes à long termes et pour nous, qui sommes dans ce business depuis 46 ans, c’est un point crucial car on compte bien y rester encore longtemps !

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Cassette audio : une question de lecteurs

On le voit dans les propos de Steve Stepp, la production de cassette audio est bel et bien repartie. Bien évidemment, la vague Hipster s’est emparée du phénomène. A New-York, bon nombre de studios d’enregistrement indépendants choisissent désormais ce format, parfois exclusivement. C’est le cas par exemple de Gravesend Recordings de Brooklyn qui a diffusé un 18 pistes de leurs artistes exclusivement au format cassette en janvier dernier. Mais si tout est en place pour la production des cassettes, le fait est qu’il reste difficile de trouver des lecteurs ! D’ailleurs à New-York, le prix des baladeurs Sony à cassette atteint parfois plusieurs centaines de dollars dans les boutiques spécialisées dans l’électronique vintage. Idem en ligne où le Sony Walkman Tps L2 original, sorti en 1979-1980 se négocie entre 300$ et 3000 $ selon l’état. C’est celui de StarLord dans Guardians of the Galaxy.

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Cassette audio : un engouement certain

Chez nous, on n’en est qu’au frémissement. La fameuse « Awsome Mix Tape Vol.1 » est surtout disponible en CD et en Vinyle. Mais déjà, l’engouement pour les cassettes a franchi l’atlantique. Ainsi, en Angleterre, les distributeurs de matériels électroniques ont enregistré en 2014 une hausse de 45% des ventes de lecteurs de cassette audio, essentiellement des modèles compacts utilitaires d’ailleurs, les derniers à être vraiment disponibles. Il y a fort à parier toutefois que l’engouement pour la cassette reste moindre que celui pour le vinyle. Il n’empêche, en manipulant quelques cassettes, je n’ai pu m’empêcher de me souvenir de tout cela, des après-midi à guetter un morceau sympa à la radio, où à recopier/ressampler les mix-tapes des copains. Peut-être qu’avec le numérique, on a gagné en qualité d’écoute, en durée de batterie, en quantité de stockage, en flexibilité, en ergonomie bref, on a gagné sur tout… sauf sur notre droit à copier et recopier les morceaux que l’on aime sans être considéré comme un bandit de grand chemin numérique. A la réflexion, je me demande si le jeu en valait la chandelle. Allez, je vous laisse, j’ai des cassettes à rembobiner avec un bic – les plus vieux comprendront.

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Les Plus

  • Prix
  • Performance
  • Silencieux

Les Moins

  • Fichiers 4K non pris en charge
  • Mise à jour XMBC compliquée en dehors de la mise à jour de l'OS

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