S’affranchir des banques centrales et des spéculateurs qui font fluctuer le monnaie, voilà une idée tentante pour les déçus du système actuel. C’est l’objectif du projet Bitcoin, un système monétaire complètement décentralisé, utilisant le principe du peer to peer, dont l’application la plus connue reste l’échange de fichiers piratés sur le Web.
Il suffit qu’un matin le café ne soit pas bon chez Moody ou que l’analyste de Standard & Poors ait un rendez-vous chez le dentiste, et c’est l’enfer sur terre dans les places financières. L’euro ne vaut plus rien, tout le monde panique. Rendez-vous compte ! Aujourd’hui un euro vaut moins de 1,4 dollar ! L’angoisse absolue… Certes, tout le monde paniquait de la sorte quand l’euro est passé au-dessus d’un dollar, à croire que la presse économique concentre l’immense majorité des journalistes dépressifs et pessimistes du pays. Pour s’affranchir du jeu des agences de notation, mais aussi des spéculateurs, certains ont eu l’idée de mettre au point une monnaie complètement décentralisée, basée sur les réseaux Peer to Peer : Bitcoin, une bien belle idée mais ô combien difficile à mettre en pratique.
Un système élégant
L’idée est d’assurer toutes les tâches liées à l’administration d’une monnaie à l’aide du réseau, de l’émission des billets au contrôle des échanges. Comment cela fonctionne-t-il ? Pour l’utilisateur, rien de plus simple. On installe un petit logiciel sur son PC, une sorte de porte-monnaie électronique. Depuis ce programme, on peut accepter ou envoyer des Bitcoins. Afin d’éviter la contrefaçon, chaque Bitcoin échangé est signée à l’aide du cryptage PGP et la certification de la transaction est réalisée avec l’aide d’un réseau d’ordinateurs des utilisateurs. Ceux qui mettent la puissance de leur machine au service de la communauté reçoivent des Bitcoins en remerciement, ce qui émet de la monnaie par la même occasion. C’est ce que les connaisseurs appellent le « Minage », une méthode simple et relativement efficace pour mettre en circulation des pièces virtuelles. Tout le monde peut donc gagner ainsi des Bitcoins en laissant tourner son PC. Pour éviter l’explosion du nombre de pièces virtuelles en circulation, la génération de Bitcoins par les systèmes de minage ralentit avec le temps. Aujourd’hui, c’est devenu très difficile de générer deux Bitcoins par semaine avec une machine d’un niveau correct.
A l’essai
Nous avons rencontré Lionel, consultant informatique/Internet et utilisateur du système. « C’est très pratique, on reçoit et on effectue des paiements sans commission particulière et sans risque ». A l’heure actuelle, Lionel propose ses services sur le Web avec la possibilité de payer en Bitcoins et son chiffre d’affaire réalisé par ce biais représente « 200 euros sur un trimestre ». C’est un début. Il semble que de plus en plus d’utilisateurs s’intéressent à ce système. Quid du minage ? Lionel fait la part des choses. « Le minage est une activité à part entière qui nécessite un investissement de base important et à la rentabilité faible, ceux qui se lancent là-dedans le font par conviction, pour consolider le système. » Après tout, c’est une chose de payer par exemple avec sa carte bleue, c’en est une autre de participer à la vérification de la transaction. A chacun son métier.
Une mise en place difficile
Devant le succès de la formule, la stratégie d’émission des pièces s’est vite montrée dépassée, touchant ici l’un des problèmes les plus délicats pour les utilisateurs de Bitcoins. Trop peu de pièces virtuelles sont émises par minage pour satisfaire les appétits des internautes, d’où l’idée de pouvoir échanger les pièces contre des euros afin que les gens puissent en acheter. Et c’est là que le bât blesse. De façon parfaitement ironique, Bitcoins est devenu la cible des spéculateurs. Depuis son invention, le cours du Bitcoin en dollars a été multiplié par 273 entre sa création et juin 2011. Et ça pose problème au quotidien, nous confie Lionel. « Un client m’a demandé un texte pour son site pour dix Bitcoins, soit dix euros, une semaine plus tard quand j’ai envoyé ma facture, dix Bitcoins valaient cent euros, il n’était pas très content. »
Le Web, source d’angoisse permanente ?
Outre son grave problème de stabilité, Bitcoin cristallise toutes les peurs que les réactionnaires émettent systématiquement à chaque fois qu’une nouvelle technologie apparaît. Ainsi Bitcoin a été vu comme un moyen pour Al Queada d’acheter du plutonium, ou pour la mafia de blanchir son argent. Même les papes du Web y trouvent à redire, certains qualifiant Bitcoins même de « projet le plus dangereux que le Web ait connu ». La réalité est pourtant tout autre. Avec seulement 21 millions de pièces virtuelles en circulation sur toute la planète, il n’y a pas de quoi financer quoi que ce soit d’envergure. En revanche, certains y voient, pas forcément à tord d’ailleurs, une bulle spéculative en puissance. Nous avons contacté Bernard Lietaer (www.lietaer.com), spécialiste des systèmes et innovations monétaires. Il se montre des plus sceptiques : « Ce système n’a pas d’avenir. Avec une telle augmentation de valeur, les utilisateurs ont intérêt à garder leur Bitcoins plutôt qu’à les faire circuler, c’est finalement une variante du système de vente pyramidal ». L’arnaque à l’investissement pyramidal est connue depuis près d’une centaine d’années. C’est une astuce inventée par Ponzi, où les gains des utilisateurs sont financés par l’argent des nouveaux arrivants, Le dernier exemple en date étant l’affaire Madoff . Quant à l’exploitation de Bitcoin par la Mafia, Bernard Lietaer en sourit. « Il y a à ce jour quelques millions d’euros en Bitcoins en circulation. Pour la Mafia, il faudrait plutôt des milliards pour que cela devienne intéressant. »
Bitcoin de l’intérieur
Nous avons rencontré Amir Taaki, fondateur de Bitcoinconsultancy.com qui développe des outils de support et d’échange autour du système Bitcoin
Ere Numérique : Pouvez –vous nous en dire plus sur les motivations qui ont mené à la création d’une monnaie libre ?
Amir Taaki : L’idée de créer une monnaie d’échange libre date des années 90. Des hackers idéalistes cherchaient un moyen d’équilibrer un système monétaire exempt de corruption. Au fil des années, les innovations permettant de décentraliser complètement un tel système ont vu le jour, y compris la certification d’une monnaie virtuelle infalsifiable. Aujourd’hui, elle répond à deux besoins majeurs d’internet : la possibilité de faire des micro-paiements sans commission pour soutenir des artistes ou des œuvres par exemple et l’impossibilité de geler les avoirs en Bitcoin, contrairement à ce qui s’est passé pour Wikileaks.
Ere Numérique : On assiste à une forte spéculation sur la monnaie…
A.T. : Nous pensons que l’augmentation de la valeur est due au fait que les gens ont perçu ses possibilités immenses. Aujourd’hui, des échanges commencent à se faire dans cette monnaie.
Ere Numérique : Bitcoin génère-t-il suffisamment de pièces ?
A.T. : Il y a actuellement six millions de Bitcoins en circulation, mais à terme, seulement 21 millions seront émises. Cela étant, la monnaie est divisible comme n’importe quelle unité du système international. On pourra payer en « milli-Bitcoin » si on veut.