CES 2015 : je suis charlot

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Comme tous les ans, la communauté du Hi-tech se réunie à Las Vegas, histoire de découvrir les produits de consommation numériques qui feront notre année 2015. Cette édition, vous vous en doutez, n’est pas tout à fait comme les autres pour la petite communauté des journalistes et exposants français. Et si le succès de cet évènement toujours aussi absurde se confirme une fois de plus, l’actualité ne fait que renforcer l’immense sensation de vacuité que l’on a, à arpenter des corridors pourtant toujours plus fréquentés.

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Las Vegas, Mercredi 7 janvier 2015, 7h du matin. Elle arbore un large sourire alignant d’immenses dents beaucoup trop blanches pour être vrai. Je lui tend un coupon qu’elle attrape mollement avant de plonger le nez dans sa caisse enregistreuse numérique à écran 17 pouces. Dans le reflet de ses lunettes, je vois des dizaines de lignes de ce qui semble être un tableau Excel d’une rare complexité. Soudain, une imprimante extrude un bon demi-mètre de papier qu’elle arrache nerveusement avant d’y griffonner un truc indéchiffrable. Elle me le tend et marmonne quelque chose que je ne comprends pas en agitant le bras pour l’indiquer d’avancer dans une vague direction. Derrière moi, la file s’étend. Je saisis confusément le lambeau de papier et je poursuis, avant d’être stoppé à nouveau à un autre check-point. Là, j’attends. Je ne comprends pas bien ce qui se passe. L’endroit a l’air d’être vide et pourtant, il y a bien 25 personnes derrière moi à vouloir rentrer. Une dame d’un certain âge arrive et saisit le rouleau de papier avant d’examiner avec une précision toute scientifique le hiéroglyphe. Elle a l’air ennuyée… Elle se retourne et contemple la salle vide et me confie : « bon, ne vous inquiétez pas, je vais voir ce que je peux faire ». Elle revient cinq minutes plus tard et me dit non sans fierté : « je vous ai trouvé une place ». Et de me guider à ma place. Une place. Pas une autre. Surtout pas. Ça foutrait par terre toute son organisation j’imagine. J’ai bien tenté de m’installer ailleurs, mais j’ai rapidement abandonné le projet devant l’éclair de terreur qui a parcouru son regard gris pâle quand j’ai esquissé un pas en dehors des clou. Ça, c’est juste la procédure pour aller prendre son petit déjeuner au Treasure Island (l’hôtel de Las Vegas avec un immense bateau pirate en plastique à l’entrée). 25 minutes d’attente, quatre employés, pour s’asseoir enfin dans un restaurant pourtant vide, à une place, sa place. Pas une autre. Il y a une règle que les habitués du CES apprennent à connaitre et respecter à Las Vegas : Rien n’a jamais, jamais, aucun sens. Tout est absurde dans ce salon, depuis l’organisation des stands aux transports, jusque dans la gestion des ascenseurs. Et d’ailleurs, l’image choisie par les organisateurs s’inscrit bien dans cette veine d’absurdité assumée : un cosmonaute qui tient un tigre en laisse sur ce que l’on imagine être la Lune. A mon sens, il manque tout de même une licorne mauve avec un collier en platine qui chie des arc-en-ciel avec un tatouage Hello kitty / Harley Davidson pour atteindre le niveau d’ « awesomeness » ultime comme on dit ici.

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Le fake, un mode de vie

Le fait même d’installer ce salon à Las Vegas devient absurde d’ailleurs. Le salon attend 160.000 visiteurs. Il y a 150.000 chambres d’hôtel dans toute la ville du vice. A cette foule imposante s’ajoute les staffs des 3200 exposants, répartis sur une surface d’environ 26 stades de foot. Enorme, gigantesque. Démesuré, tout comme l’enthousiasme des chefs produits pour leur n-ième produit connecté comme les autres. Tout est artificiel, les bâtiments en carton-pâte, l’air climatisé, les hommes et les femmes, l’enthousiasme, les sourires et les larmes. Enfin non. Pas les larmes cette année. Car s’il y a bien une chose de certaine, c’est que l’actualité française remet en perspective tout ce qui peut se passer sur un salon comme le CES. Difficile de mieux se rendre compte désormais de l’étonnante futilité des innovations de ce salon 2015. Le jour où les barbares passaient la rédaction de Charlie Hebdo au AK47, nous étions en train de regarder, médusés, des bonnasses refaites sanglées dans leur uniforme en Lycra exécutant une gym lascive sur des matelas en synthétique pour vanter les mérites d’un quelconque bracelet de santé. Rien n’a vraiment de sens ici.

N’importe quoi

Vous errez dans les allées jonchées de prospectus que personne ne lira et de carte de visites abandonnées, à la recherche d’un exposant, mais la numérotation ésotérique des stands vous laisse tragiquement impuissant. Et puis tout va de travers. Ce qui ressemble à une poupée gonflable vivante plus vraie que nature vous saute au cou. Dans son uniforme d’écolière japonaise visiblement trop petit pour contenir tout ce silicone, elle vous tend une carte de visite que vous saisissez sans trop savoir pourquoi. Plus tard, j’ai bien tenté de la retrouver mais je ne sais même plus quel produit elle a bien pu tenter de vous vendre. Vous bredouillez quelque chose et vous vous échappez de l’étreinte, tentant vaguement de vous souvenir que vous êtes là pour travailler… et puis en tournant au coin d’un stand, un hautparleur gigantesque de 150.000 W au moins vous dégueule du Jennifer Lopez dans les esgourdes sans prévenir. Ça y est, vous êtes sourd d’une oreille. Vous titubez un peu et votre regard croise celui d’un teckel à poil ras qui porte un collier connecté en forme de nœud papillon rose pâle censé « monitorer » (c’est le mot à la mode) son activité physique journalière. Et bien que ce ne soit qu’un clébard, vous saisissez immédiatement dans son regard expressif la perte du peu de fierté animale qui doit encore lui rester. C’est bien clair. Il n’aboie pas mais son regard hurle : « piquez-moi, juste là maintenant. Finissons-en.» Et juste au moment où vous pensez avoir touché le fond des produits connectés, vous tombez sur cette marque sublime qui vend un objet permettant de savoir « combien » vous puez du bec, histoire d’ajuster votre rythme de dégustation de bonbons mentholés. L’objet connecté est vraiment le produit phare de ce salon 2015 avec deux halls dédiés fraîchement ouverts.

Faire son métier

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La lutte est vaine. J’ai chaud, je transpire. Tout cela n’a vraiment aucun sens. Je tente de fuir. Dehors, il fait déjà nuit. La nuit tombe brutalement dans le désert. Dehors, une horde de marginaux fait claquer entre ses doigts les cartes de visites de prostituées. A en juger par le débit des petites cartes en papier glacé, une certaine Wendy va avoir une nuit chargée. Et je me demande si l’entreprise qui exploite ces pauvres types pour quelques dollars de l’heure entretient une armée de clones de Wendy pour palier à la demande. Ou alors c’est comme sur les prospectus carrefour : photos non contractuelle ? Si je commande Wendy et qu’on m’envoie Rebecca, puis-je retourner la marchandise ? Non vraiment, ce salon n’a aucun sens. D’ailleurs, il faut aussi se poser la question de la présence d’autant de journalistes sur place et de notre fonction dans la couverture de cet évènement. Fait-on encore vraiment usage dans notre domaine de cette liberté d’expression si chèrement payée par 12 personnes à Paris la veille ? Quand on couvre ce genre de salon en se contentant d’annoncer la sortie des produits, les prix et les specs, fait-on encore vraiment du journalisme ? Qui par exemple écrira que les fabricants de thermomètres connectés ont fait une bonne année en parte grâce à l’épidémie d’Ebola ? Qui pour dire aussi qu’il faut quand même se poser des questions quant à la liberté individuelle au sein même de la cellule familiale quand on voit que, selon les constructeurs, 70% des utilisateurs cherchent en premier lieu des objets connectés de surveillance ? On vend désormais une batterie de solutions pour fliquer les gosses. Pour les confiner dans des zones vertes sur une carte Google Maps et pour être alerté s’ils en sortent. Beaucoup de fabricants proposent aussi des caméras de surveillances à domicile, avec reconnaissance faciale, pour être prévenu quand vos enfants sont rentrés, et s’ils sont venus avec des copains, et qui sont ces copains. Où vont donc aller flirter les adolescents s’ils ne peuvent même plus faire rentrer en douce leur copain/copine sans émettre une notification inquiétante sur le téléphone du daron ? Certains constructeurs nous ont dit qu’ils ne vendaient pas des systèmes d’alarmes, mais des systèmes de « rassurance »… à d’autres ! Quel espace de liberté restera-t-il à ce train aux enfants dans 10 ans ? C’est à toutes ces questions qu’il faut répondre et pas tellement à l’arrivée de tel ou tel smartphone qui fait pouet-pouet dans la poche quand on vous appelle et qui vous permet d’écouter Justin Bieber en Haute résolution…

Assez

A l’heure actuelle, je ne suis pas certain que dans notre branche, celle de la presse spécialisée, on fasse encore vraiment du journalisme. Hier soir, un rassemblement s’est tenu au pied de la (fausse) tour Eiffel de l’hôtel Paris. Journalistes, exposants et officiels se sont réunis pour afficher clairement leur dégoût de ce qui s’est passé, leur attachement à la liberté d’expression et leur volonté de continuer leur travail. Je n’y suis pas allé. Préférant écrire ce texte. Chacun vit ça à sa manière. Peut-on afficher « Je Suis Charlie » quand on est journaliste et que l’on est plus vraiment certain de faire du journalisme au milieu du désert du Nevada, au regard de l’actualité ? Se poser la question, c’est peut-être déjà un pas dans le bon sens. Pourquoi pas… Dans mes bagages, j’avais emmené « Kingdom of Fear », d’Hunter S. Thompson (l’auteur de Fear and loathing in Las Vegas), ça me paraissait approprié. Dans son texte sur le 11 septembre 2001, il écrivait ceci : « La seconde moitié du XXème siècle passera pour une soirée de débauche pour enfants gâtés en comparaison de ce qui nous attend. ». Il avait raison, le vieil enfoiré. C’est le petit matin maintenant. Rien n’a de sens ici. #JesuisCharlie

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Les Plus

  • Bonne ventilation
  • Espace pour la carte graphique
  • Connectique riche

Les Moins

  • Carte graphique peu puissante
  • Pas vraiment silencieux
  • Un peu cher dans l’absolu

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