En novembre prochain, les téléviseurs LCD, LED et plasma seront étiquetés en fonction de leur consommation au même titre que les voitures et les machines à laver. L’objectif est de guider le consommateur vers les écrans les moins gourmands. Si l’intention est louable, la norme cache aussi sa part d’ombre et de nombreuses incohérences.
Depuis le temps que les alarmistes vous le disent, vous devriez commencer à être convaincu. Partant du principe qu’une mauvaise idée devient une vérité si on la répète assez souvent, les talibans de l’écologie non réfléchie ont fini par convaincre toute le monde qu’acheter un écran plat aujourd’hui, c’est tuer un ours polaire, douze manchots empereurs et autant de bébés phoques. Pourtant à y regarder de plus près, il est évident qu’une telle opinion ne résiste pas à l’analyse. Par exemple, un téléviseur LCD 46 pouces consomme 200 W environ. S’il tourne trois heures par jour, cela nous fait 219 kWh par an. Un fer à repasser (750W) qui tourne cinq heures par semaine, consomme 195 kW. Conclusion : achetez des vêtements infroissables et regarder ce que vous voulez à la télé. Trêve de plaisanterie. L’exemple est ici volontairement provocateur mais on se rend bien compte des méthodes appliquées pour faire culpabiliser le consommateur quoiqu’il en coûte en honnêteté intellectuelle.
De bonnes intentions
Pourtant, l’idée derrière le texte officiel poétiquement intitulé directive 2010/30/UE et son règlement délégué 1062/2010 part d’une bonne intention. En préambule, on apprend en effet que « l’éco-conception des téléviseurs pourrait permettre d’économiser 43 TWh électriques par an d’ici 2020 ». Impressionnant ! Tout aussi impressionnant qu’opaque finalement. Mais soit, on ne niera pas que tout effort pour faire baisser la consommation des foyers est bon à prendre. Et c’est donc une initiative que nous accueillons avec bienveillance, à priori.
Du reste, l’étiquette que vous allez retrouver sur tous les téléviseurs est plutôt riche en information. A une heure où les spécifications des constructeurs se raréfient comme un ours des Pyrénées, remettre un peu d’information technique dans le choix de son téléviseur ne peut être qu’une bonne chose. Que trouve-t-on sur cette fameuse étiquette ? Nous sommes allés chercher un exemple chez Sony. Voici donc l’étiquette du Sony KDL46-HX92 :
On trouve sur cette étiquette des informations très utiles, comme la puissance en marche ou la consommation d’énergie annuelle. D’ailleurs, ceux qui ont établi la norme n’y vont pas de main morte en comptant quatre heures de fonctionnement par jour. C’est plus que la moyenne nationale, qui tourne autour de 3h30.
Bref, en soi cet étiquetage a du bon. Malheureusement, ce n’est pas aussi simple dès que l’on analyse le texte officiel.Nous nous sommes procuré les textes officiels. Et voici comment sera édictée la catégorie énergétique des téléviseurs. On commence par calculer un indice d’efficacité énergétique (IEF) pour chaque téléviseur. Cet indice permet de classer les écrans selon le tableau suivant.
Une méthode douteuse
Maintenant, comment est établi cet indice ? L’IEF est le rapport entre la puissance mesurée de l’appareil et une puissance de référence Pref.
IEE=P/Pref
Cette puissance de référence est établie selon la méthode de calcul suivante :
Pref = Pbase + A × 4,3224 Watts/dm2
Où Pbase est une constante dépendante de l’équipement intégré dans le téléviseur. On est plus tolérant quand l’appareil intègre un disque dur par exemple ce qui est logique puisque l’on fait l’économie d’un boîtier externe souvent gourmand en énergie.
Le coefficient A représente la surface de l’écran en décimètres carré. Histoire de fixer les idées, voici la surface d’un écran en décimètres carré pour les diagonales les plus courantes.
Et là se pose la première interrogation quant à cette norme. Le calcul savant déterminant la note tient compte de la diagonale de l’écran. Autrement dit, plus l’appareil est grand, plus la norme est indulgente. Or, le vrai choix écologique, c’est justement de choisir un écran de petite taille, forcément moins gourmand en énergie. On ne voit pas d’autres raisons ici qu’une indulgence certaine envers les constructeurs. C’est un peu comme si on était plus tolérant avec la note énergétique des Porsche sous prétexte que ce sont des voitures de sport. Où est la vertu éducative dans tout cela ?
Si on prend l’exemple d’un écran disposant simplement d’un tuner, voici ce que l’on obtient pour les puissances selon la diagonale et selon la catégorie énergétique :
On voit bien ici qu’il y a un problème. Le consommateur peut choisir un 52 pouces en catégorie A, il consommera plus d’énergie qu’avec un 42 pouces en catégorie B. Il a l’impression de faire un geste pour l’environnement, alors qu’il n’en est rien.
On n’est pas fans de la théorie du complot. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’Elvis est vivant dans la zone 51 et qu’il joue à Duke Nukem Forever sur console Phantom avec l’agent de la CIA qui a assassiné Kennedy, mais il n’empêche. Si l’intention est bonne, la méthode de calcul nous laisse penser qu’une indulgence envers les grandes diagonales sert finalement plus les constructeurs que les consommateurs. En effet, ce sont sur les grandes diagonales que les constructeurs margent et il aurait été malvenu de les pénaliser par une note peu flatteuse. On est en droit de douter de l’intérêt d’une telle norme quand on voit la part belle qu’elle fait aux grandes diagonales. On pourrait se dire que, dans le fond, ça permet toujours de comparer les écrans de même diagonale et donc tout de même présenter un intérêt. C’est sans tenir compte de certaines bizarreries là aussi. On nous explique en effet dans le texte officiel que « la consommation électrique est mesurée dans la situation […] du téléviseur telle qu’elle est fournie par le fabricant, c’est-à-dire que les réglages de luminosité du téléviseur se trouvent dans la position ajustée par le fabricant. » Quand on sait qu’un réglage de luminosité fait varier du simple au quadruple la consommation des téléviseurs, il y a de quoi s’inquiéter de voir une norme qui ne normalise pas, justement, ce paramètre.
C’est ce que nous faisons depuis bientôt quatre ans. Vous pouvez par exemple le voir lors de l’essai sur le LG 52LG5000. On peut faire passer la consommation de 100 à plus de 300 W selon les réglages choisis. En fait, la norme fait la distinction entre les écrans dotés d’un mode « magasin » et d’un mode « domicile ». Les tests se font toujours en mode domicile dans ce cas-là. C’est tout de même laxiste puisque la luminosité n’est pas imposée. Il y a bien une mesure de luminance effectuée, mais juste pour vérifier la conformité de la consommation affichée par le constructeur. Elle doit juste représenter en mode domestique « 60% de l’intensité crête du téléviseur », un choix curieux quand on sait que les modes « cinéma » sont plutôt autour de 30% de la valeur totale.
De bonnes idées
Tout n’est pas à jeter cela dit. La mesure de consommation se fait en utilisant divers type de contenus, ce qui permet de tenir compte de la variation de consommation en fonction de l’image qui est affichée. C’est le cas sur le plasma naturellement, mais aussi sur les LED à rétro-éclairage zoné. Là encore, quand ce n’est pas activé par défaut, fait-on l’effort d’aller chercher cette option dans les menus ? Mystère. Autrement dit, la pertinence de cette étude dépend très largement du réglage par défaut à la sortie du carton de l’appareil. Est-ce vraiment normal ? Est-ce que cela ne va pas aboutir à des réglages optimisés pour la norme par le constructeur. On a eu le réglage magasin et maintenant on va avoir le réglage consommation. Est-ce que l’image sera quasi noire par défaut après avoir été éblouissante ? Signalons tout de même que l’essai a lieu sur plusieurs appareils de même modèle afin d’effectuer une moyenne, c’est une bonne idée.
Le cas du plasma
Que dire du cas particulier du plasma ? Que ce soit Panasonic, LG ou Samsung, aucun n’a annoncé de classe énergétique pour ses écrans plasma, alors qu’en LED on ne se prive pour communiquer sur le sujet. C’est le cas de Sony par exemple. Selon nos calculs, les plasmas devraient dans un premier temps se classer, au mieux, dans la catégorie B. C’est déjà très bien, et les constructeurs annoncent une classification en A pour la fin de l’année. Il n’empêche, si l’impact psychologique de la classe énergétique est à l’image de ce qui se passe sur le marché automobile, les pro-plasma ont du souci à se faire. Alors que là encore, cela ne correspond pas forcément à une réalité. Ceux qui achètent un plasma de grande taille le feront le plus souvent pour le home cinéma. Il y a donc de fortes chances qu’il fonctionne moins souvent et moins longtemps. De même, on obscurcit la pièce et du coup la luminosité.
Au final, que peut-on vraiment attendre de cette norme ? En définitive pas grand chose. Elle ne permet pas de faire le tri entre les bons et les mauvais élèves entre les diagonales. Elle ne permet pas non-plus de comparer les écrans au sein d’une même diagonale, faute de rigueur suffisante dans les conditions de mesure. Il faut pourtant faire quelque chose pour un meilleur respect de l’environnement. C’est une démarche globale, qui dépasse le cadre, à proprement parler, des téléviseurs. Les normes européennes sont une bonne chose en soi, encore faut-il de la rigueur et de l’indépendance. En fait et comme toujours, ce sera à chacun d’être vigilant. Pour savoir réellement ce que consomme son futur téléviseur, il suffit de lire nos tests et si on achète une grande diagonale, on peut le faire en connaissance de cause et veiller à ce que le téléviseur ne fonctionne pas inutilement.