Le vinyle est de retour ! On le croyait définitivement enterré, dépassé par le CD et la musique dématérialisée, il n’en est rien. Les disques vinyles ne sont pas morts et sont même devenus des objets tendance. Un nouveau public, plus jeune, découvre les vertus musicales de ces galettes noires. Une véritable résurrection !
Si vous avez été adolescent dans les années 70, vous allez pouvoir remonter le temps simplement en allant arpenter le rayon disque de certaines grandes surfaces culturelles. Vous y retrouverez des dizaines de disques vinyles, essentiellement des 33 tours, qui vont vous replonger dans vos jeunes années. La galette noire est toujours vivante ! C’est un quasi-miracle, même si le vinyle avait continué sa vie grâce à des passionnés de musique et aux DJ friands du scratch et du son des années 70/80. Il a néanmoins failli disparaître dans les années 80 sous les coups de butoir des cassettes et CD Audio et en l’an 2000, il ne semblait pas faire le poids face à la musique sous forme numérique. Ce dinosaure a pourtant résisté, et après une période de glaciation, il retrouve la lumière…
Tendance vinyle
Un phénomène inédit qui est la conjonction de plusieurs éléments, désormais le vinyle n’est plus has been mais tendance. Depuis 2010, les ventes décollent, il faut cependant rester lucide, les disques vinyles ne représentent qu’environ 1,6% du marché physique de la musique enregistrée en 2013. Selon le SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique), il s’est vendu en 2013 plus de 660 000 disques vinyles, en 2012 le chiffre était de 509 000 soit une progression de 30 % sur un an. Dans le même temps, il s’est écoulé plus de 40 millions de CD ! Cela reste donc une goutte d’eau mais la tendance est là, le pourcentage des ventes a été multiplié par quatre en trois ans. De plus, selon une estimation du CALIF (Club Action des Labels Indépendants Français), ces chiffres du SNEP ne prennent pas en compte les ventes réalisées par les disquaires indépendants. Leur nombre augmente et ils représentent entre 70 et 80% du marché du vinyle. Ce retour n’est pas cantonné à la France, il est perceptible partout dans le monde et notamment aux États-Unis. Au pays de l’Oncle Sam, les ventes sont passées de 900 000 unités en 2006 à 7,1 millions en 2012, une progression par huit en sept ans et désormais le vinyle représente 6% de la valeur du marché de la musique physique. Cette tendance touche également nos amis britanniques, les ventes de vinyles ont doublé l’année dernière pour atteindre le million d’exemplaires.
Un objet qui fait rêver
Cette vinyle-mania n’est pas un retour en force de la nostalgie, tous les genres de musiques sont touchés et pas seulement le rock, la musique électronique et les rééditions. En 2013, c’est l’album des Daft Punk (Random Access Memories) qui a été la meilleure vente en vinyle en France, USA et Grande-Bretagne. Les dernières nouveautés en musiques pop et rock sortent systématiquement en vinyle, c’est un choix des artistes et des maisons de disque. Cette tendance est due à un nouveau public, plus jeune, désireux d’accéder à une meilleure qualité sonore que celle proposée par les CD et les MP3. Seul le vinyle, pour le moment, permet de retrouver un son proche de l’enregistrement initial, il est la copie du master d’origine. Le vinyle c’est également un bel objet, différent avec des déclinaisons en coffret luxueux contenant des documents inédits. Les versions collector, comme dans la vidéo, sont très prisées par les amateurs et les collectionneurs. Le besoin de posséder de la musique sur un support physique de qualité, comme un beau livre, explique également le renouveau du vinyle. C’est un retour aux sources, le vinyle fait rêver le consommateur de musique.
Le pressage est reparti
Tout l’écosystème vinyle bénéficie de cette seconde jeunesse, les fabricants de platines enregistrent de fortes progressions de leurs ventes et les accessoires comme les cellules ou les systèmes de nettoyage des vinyles ne sont pas en reste. Un autre signe de ce retour en grâce du vinyle est la reprise de l’activité de pressage. En France, un des derniers presseurs industriels en activité existe, il s’agit de la société MPO située en Mayenne. Son activité de pressage de vinyles explose depuis l’été 2012 ! MPO a produit en 2013 cinq millions d’unités, soit le volume maximal de sa production. Une poussée inattendue qui va obliger l’entreprise à ressortir de la poussière deux vieilles machines de pressage et porter ainsi sa capacité de production à huit millions de disques vinyles. Selon MPO, cette activité est très rentable et les trois quarts de sa production partent à l’exportation : 47% en Grande-Bretagne, 14% en Allemagne et 13% aux États-Unis. C’est la pénurie dans certains pays, les usines de pressage de vinyle étant très peu nombreuses. Ce renouveau industriel est un signe tangible de la bonne forme du vinyle, c’est aussi le constat réalisé par les disquaires.
Des rayons de plus en plus grands
À la Fnac, les disques vinyles ont joué des coudes pour reconquérir les linéaires. Leur place est de plus de plus importante, entre 2012 et 2013 les volumes de vente ont doublé. L’enseigne a adapté ses magasins et offre de nombreux services comme de la réédition à la demande ou une copie numérique gratuite pour un disque acheté. Les amateurs de musique reviennent en magasin et l’optimisme est de mise car selon la Fnac, l’offre dans les deux ou trois années à venir va s’étoffer sur le fond des catalogues et toutes les nouveautés sortent en vinyles. Les disquaires indépendants sont aussi confiants dans l’avenir du vinyle, leur nombre a été divisé par 10 par rapport au début des années 80, ils étaient à peine 300 en 2012. D’après le CALIF, trois à quatre magasins ouvrent chaque année à Paris et dans les grandes villes françaises. Toujours selon les études réalisées par le Calif, le marché du vinyle s’élargit avec le retour de lieu propice à l’achat des disques et les deux tiers des acheteurs ont entre 18 et 35 ans.
Disquaire Day et nouveautés
Le vinyle est aussi très présent sur le marché de l’occasion avec des éditions originales des années 70. Une journée spéciale est consacrée aux disquaires indépendants, le disquaire Day en France, et là aussi l’engouement est réel et concret, le chiffre d’affaires de cette journée est passé de 300 000 euros en 2011 à un million d’euros en 2013. Si le vinyle n’est pas près de détrôner le CD et le téléchargement, il est cependant en phase de redémarrage, une niche qui pourrait atteindre entre 10 et 20% des ventes du marché physique de la musique et qui deviendrait alors un véritable renouveau. Les maisons de disques surfent sur cette vague, les rééditions abondent comme les trois premiers albums de Led Zeppelin remastérisés en vinyles de luxe et les artistes sortent leurs nouveautés sous ce format de Mylène Farmer à Adèle en passant par Katy Perry ou Woodkid. Le vinyle n’a pas fini de procurer des sensations inédites sur d’autres supports musicaux, c’est son assurance-vie contre l’oubli.
Richard Garrido, CEO d’Audio-Technica Europe, nous a donné son point de vue sur ce phénomène de renaissance du vinyle.
Ère Numérique : Comment expliquez-vous ce retour du vinyle ?
Richard Garrido : Je pense qu’il faut différencier trois facteurs pour appréhender cette tendance. En premier lieu, l’industrie de la musique enregistrée et ses acteurs ont terriblement souffert de la dématérialisation du support. Cela a entraîné une grave crise économique à tous les niveaux de la chaîne. Le vinyle est un point de ralliement avec les amateurs de musiques cherchant à se démarquer de la masse des consommateurs de musique enregistrée. Pour les uns, c’est une façon de renouer avec le modèle économique du disque connu dans les années 70 et pour les consommateurs une manière d’être différents. Le vinyle est en quelque sorte la croisée des chemins entre une industrie nostalgique d’un modèle économique maîtrisé et prédictible et l’opportunité pour certains amateurs de sortir des sentiers battus.
La qualité audio
Le second facteur est la qualité audio. Bien sûr, 500 vinyles ne tiennent pas dans la poche d’un pantalon, évidemment le vinyle est fragile et réclame un soin particulier. Son rapport signal/bruit laissera toujours à désirer en comparaison des techniques numériques, mais la musicalité d’un enregistrement analogique de qualité et la restitution par une cellule phono apportent une dimension unique, incomparable et des écoutes supérieures à celles d’un CD ou encore d’un fichier MP3. La restitution d’un programme musical à partir d’un vinyle devient génératrice de sensations, je dirais même d’émotions. Je ne suis pas un nostalgique, il m’arrive de faire écouter des vinyles lus avec une cellule mobile à des jeunes de moins de 30 ans. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive dès l’écoute des premières mesures.
Objet et informations
Le troisième facteur est lié à l’information disponible et au syndrome de l’objet palpable que l’on possède. Dépenser 20 euros pour télécharger des fichiers audio et ensuite… il ne vous reste rien dans la main ! C’est frustrant et je pense que c’est un facteur important qui marque ce retour aux vinyles. Pour information, sur une pochette de 33 tours vous connaissez le nom des musiciens, des chanteurs, des arrangeurs, des ingénieurs du son etc. Ecouter de la musique, c’est aussi pour un amateur se faire sa propre base de données. Pour aller plus loin dans la connaissance des musiques, l’information est très importante. Si j’écoute de la musique avec un baladeur, je ne connais pas forcément la version du morceau écouté, son année de création, les interprètes et le nom des musiciens. Écouter un vinyle face à ses enceintes, la pochette à la main c’est déjà un événement en soi et c’est un acte qui met en œuvre la quasi-totalité de nos sens.
L’histoire du disque vinyle
Le point de départ de l’histoire du vinyle remonte à 1877. À Paris, Charles Cross étudie le son et a une idée originale. Il va utiliser un stylet solidaire d’une membrane, devant laquelle il parle, pour graver des sillons sur un cylindre. En faisant repasser le stylet dans les sillons, sa voix est restituée. Il va décrire le procédé dans un mémoire qu’il remet à l’Académie des Sciences le 18 avril 1877. Le 19 décembre 1877, Thomas Edison réalise la même expérience et dépose le brevet du phonographe. En 1939, les producteurs de disques découvrent le vinyle, une résine de plastique dérivée du pétrole. En 1949, aux États-Unis, le premier 45 tours lancé par RCA arrive sur le marché. Il faudra attendre 1951 pour assister à la sortie en France du premier 45 tours, il va s’imposer progressivement dans les années 50. Le 33 tours est encore au stade expérimental, ainsi en 1956 la société Audio Fidelity lance le premier microsillon 33 tours stéréophonique mais il n’existe aucune cellule pour le lire. L’idée est lancée et les grandes majors du disque se lancent dans la stéréo. En 1957, le 78 tours est abandonné et à partir de 1958, c’est l’âge d’or du vinyle. Les ventes décollent, la fabrication de disques s’est améliorée, les galettes sont plus résistantes et les pochettes deviennent de plus en plus colorées. En 1983, le Compact Disc arrive en France et les disques vinyles vont connaître une rapide période de déclin avant de revenir sur le devant de la scène en 2010.